Comment comprendre la question sunnite en Iran ?
Dans un monde musulman à 90% sunnite, l’Iran fait figure d’exception puisqu’il a réussi à instaurer un réel pouvoir chiite avec sa révolution islamique en 1979. Toutefois, même le plus chiite des Etats de la planète présente une minorité sunnite. Cette dernière éprouve d’ailleurs de nombreuses difficultés à vivre dans un régime qui se définit par son sectarisme…
Une minorité en peine de reconnaissance
Les sunnites iraniens représenteraient entre 9 et 15% de la population total. Sous le règne du Shah, la minorité se voyait reconnaître et les écoles religieuses (madrasas) étaient soutenues dans leur développement. Mais depuis la Révolution islamique et sa Constitution de 1979, un statut particulier n’est prévu que pour les minorités juives ou chrétiennes. Les sunnites se voient simplement reconnaître leur liberté de culte dans l’article 12, celui-là même qui proclame l’Islam duodécimain (chiite) comme religion officielle. De fait, ils sont en réalité marginalisés par un « chiisme d’Etat », et ce d’autant plus lorsque l’on sait que la puissance publique est omniprésente à tous les échelons de la société iranienne.
Dans les faits, cela se traduit par l’existence d’Eglises et de synagogues dans la capitale Téhéran, mais aucune nouvelle mosquée sunnite n’est autorisée à la construction. De même, les sunnites se voient interdire la possibilité de faire des prières séparées, notamment pour la fête de l’Aïd. Sur le plan économique et social, le pouvoir chiite met tout en œuvre pour dissuader la minorité de jouer un rôle en s’organisant structurellement. Cette dissuasion s’opère par des arrestations et interrogatoires arbitraires ou encore la non délivrance d’autorisations par l’administration. Enfin, politiquement il existe des députés sunnites au Parlement iranien (Majlis), ils ont été élus grâce aux quelques provinces du pays qui sont majoritairement sunnites. Cependant, aucun sunnite n’a pu exercer de charges ministérielles depuis 1979 et l’accès à l’élection présidentielle leur est systématiquement refusé.
Ainsi, la politique de discrimination systématique à l’égard de cette communauté représente un risque de radicalisation de la part des plus oppressés. Cette radicalisation est d’autant plus dangereuse que les communautés sunnites se situent majoritairement aux frontières du pays. Elles peuvent donc trouver appui chez les Etats voisins sunnites.
Le danger du sunnisme radical en Iran
Les sunnites iraniens s’inscrivent dans des groupes ethniques allogènes transfrontaliers, comme les Kurdes ou les Baloutches. Or, le pouvoir de Téhéran cherche désespérément à « chiitiser » ces communautés en les dissuadant de poursuivre l’exercice de leur interprétation de l’Islam. Dans ces régions, les sunnites y sont majoritaires et manifestent une forte réaction de rejet à l’égard du pouvoir central. La politique discriminatoire de Téhéran vient donc alimenter la radicalisation de certains sunnites qui revendiquent leur différence. C’est dans ce contexte que s’est créée en 2003 l’organisation terroriste Jundullah au Baloutchistan. Elle est à l’origine de plusieurs attentats à l’égard de fonctionnaires de l’Etat mais son leader Abdolmalek Rigi a été arrêté puis exécuté en 2010. Depuis, un autre groupe nommé Army of Justice s’attache à continuer les attaques à l’égard des institutions chiites, qu’elles soient administratives, militaires ou religieuses. Le Baloutchistan est une région difficile à contrôler car elle enjambe aussi le Pakistan. Ces groupes terroristes sunnites peuvent donc trouver appui au-delà de la frontière, où les dirigeants pakistanais ferment parfois les yeux sur leurs activités.
En définitive, le pouvoir iranien se voit de plus en plus contesté en interne par la minorité sunnite qui souffre de discrimination. Les sunnites iraniens s’inscrivent dans des ethnies qui ont toujours manifesté un désir d’autonomie par rapport à la tutelle de Téhéran. Si le pouvoir en place réussit à empêcher toute structuration politique sérieuse qui pourrait changer la situation, cela ne fait que renforcer la voie du radicalisme et du recours au terrorisme. En incarcérant à répétition des sunnites qu’il soupçonne de complicité avec les groupes terroristes, le pouvoir iranien ne fait que poursuivre un cercle vicieux qui pousse sa minorité la plus contestataire vers la voie de l’action armée.